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Notre première rencontre

Dernière mise à jour : 26 févr. 2023

En Octobre 2019, j'acceptai ce poste au bar Chez Yvon, à Fabreville. J'avais 30 ans. Je ne sais pas ce qui m'avait poussé à l'époque à accepter un emploi à Laval alors que j'habitais Mirabel. Probablement parce qu'au fond de moi, j'aimais ce genre de place, de taverne si je peut me permettre. C'était vraiment ça. T'sais le genre de place où les femmes étaient admises, mais seulement pour y travailler. Ces femmes devaient être tellement fortes pour endurer tous ces commentaires d'un machisme profond. Misogynes même, parfois. Au fond de moi, je savais que j'avais la force pour le faire et pour endurer ça. Oui c'est vrai, on n'est plus dans les années 70 et les femmes sont maintenant admises comme clientes chez Yvon mais elles se font très rares. Les hommes sont rois. Ou du moins, ils croient l'être.


À part les misogynes, il y avait tout type de clients chez Yvon.

Celui qui me complimentait toujours sur mon outfit et sur mon beau sourire. Celui qui se dirigeait systématiquement vers les machines à vidéo poker pour y passer toute sa paye. Celui qui voulait toujours jouer une Game de pool contre moi, peu importe à quel point je pouvait être dans le jus. Celui qui mettait SA toune dans le jukebox dans l'espoir de me faire danser. Celui qui, quand il entrait, disait toujours: ''Comme d'habitude!'' pis me laissait chercher pendant 2-3 minutes parce que j'avais un crissti de blanc '' C'est quoi qui boit déjà lui??'' Puis, il y avait celui pour qui le bar ne fermait jamais assez tard. Ils étaient plusieurs dans cette catégorie. Mais moi je me souviens plus particulièrement de Stéphane. Cet homme-là c'était comme la peste pour moi, jusqu'à m'en faire pleurer parfois. Une vrai Rapace.


Puis, il y avait Lui. Je me souviens exactement de ce que je portais le jour où nous nous sommes rencontré, ou du moins, c'est le jour où je lui ai parlé pour la première fois. C'était une belle journée d'automne. Je portais un ''body suit'' noir sans manche, sans soutien-gorge ni même petite culotte. Une longue veste noire délicate qui bavait légèrement sur mon épaule droite dénudée. J'avais de longues bottes noirs qui montaient jusqu'à la moitié de mes cuisses et un short en jeans pâle juste assez court pour laisser dévoiler 6 pouces de chair fraîche de mes jambes. C'était un mardi, donc le bar était relativement calme. Il était environ 19h quand j'entendis le son de la valideuse à machine, ce qui signifiait que quelqu'un avait gagné. C'était Lui. Je me dirigeai donc vers sa machine avec 83,50$. 80$ pour Lui et 3,50$ pour moi. Il était sale. Les cheveux mal rasés avec un début de calvitie non assumé. Des vieux pants blanc de karaté toutes tachés, un vieux manteau déchiré et les mains noircis de saleté. J'aurais pu pensé que c'était un sans-abri sur le coup, mais à la vitesse où il rentrait ses 20 piasses dans machine, j'avais un doute. Il était grand, très costaud, une vrai pièce d'homme comme je les aime. Les yeux bleus, tellement brillant que c'en était déstabilisant. Il avait environ une quarantaine d'années, ma tranche d'âge idéal bref! Mon côté aimable et courtois me poussa à engager la conversation. J'appuyai donc une fesse sur le banc libre à côté de Lui et me présenta:

- Moi c'est Claudia, je crois bien qu'on ne s'est jamais vu encore? Comment tu t'appelles?

Il ne me répondit pas à la seconde. Trop occupé avec ses 2 machines à poker. Je me souviens très bien m'être attendue à un ''J-F'', à un ''Pat'' ou un ''Dan'' à la limite, mais il me lâcha un: ''Moi c'est Norm!'' Sans quitter les machines des yeux. ''Je vais prendre un Pepsi s'il te plaît.'' qu'il ajouta le regard toujours fuyant. Un Pepsi? ... Y'é ben plate! Que je m'étais dit dans ma tête. Bref. On a jasé un petit moment, futilement, et je suis repartie derrière mon bar. Je l'ai observé un peu, de loin, j'étais fascinée par son style de ''Jeu''. Je n'était pas une gambleuse assumée à l'époque. Je ne jouait que très rarement, donc je le trouvais très intense avec ses 2 machines. Il est même passé à 3 pendant un léger instant. Il n'est pas resté longtemps. Par manque de fonds peut-être. Bref, la logique dirait qu'il a perdu bien plus que 83,50$ ce soir-là.


Toujours derrière le bar, je sors de la lune et j'entends la Rapace me lâcher un:

-Hey Clo! T'as rencontré Normand! T'sais lui, y'en a de l'argent, y pourrait acheter a' bâtisse icitte!

Je me demandais où il voulait en venir, et surtout, en quoi c'était pertinent. Aujourd'hui, je me dis qu'il avait du voir clair dans ma game de barmaid et qu'il devait se douter que je cherchais un homme avec du cash. Il poursuivit:

-En plus, il est ceinture noir de Kung Fu! T'sais il pourrait t'protéger!

Ah ben sapristi... La Rapace du bar qui essaie de me matcher. J'ai pas accroché à ''Kung Fu'' sur le coup. J'avais la phrase ''Y pourrait acheter a' bâtisse icitte'' qui résonnait dans ma tête et le pire c'est que ça m'a allumé ben raide à l'époque. Cette année-là, j'étais cassée comme un clou. Je venais d'acheter la maison de mes parents à Sherbrooke, car mon père était très malade et je voulais le dégager financièrement. Dans un ''High'' de la maladie Bipolaire, j'avais pris 18 000 piasses, que j'avais pas, pour acheter une BMW 2014 noire avec l'intérieur rouge. Un vrai petit bijou. Je consommais de la drogue et de l'alcool très régulièrement et je m'arrangeait pour avoir un match Tinder au moins 2-3 fois par semaine pour satisfaire mes besoins. En avril, la DPJ m'avait accusé de négligence envers mes enfants et tout ce que j'avais trouvé bon à faire au lieu de me retrousser les manches, c'était de m'engouffrer encore plus creux. Boire plus, consommer plus. Car j'avais une grosses montagnes de problèmes à surmonter et je n'avais pas la force de les affronter. En fait, j'avais la force, mais je ne savais pas que je l'avais. J'avais choisi d'ignoré plutôt que d'affronter. Mais ça, c'est un autre débat!


La soirée s'était relativement bien déroulé ce soir-là. Rien à déclarer entre 18h00 et 2h30. C'est seulement 15 minutes avant la fermeture que je commençai tranquillement à faire ma caisse. Je dis tranquillement parce que j'étais pas mal affectée par l'alcool, comme à presque tous les soirs d'ailleurs. La Rapace était toujours là. Une grosse Bud bien pleine devant lui. Stéphane, c'était le genre de gars qui fallait je fasses à croire que j'allait coucher avec, un jour, pour qui me criss la paix. Et ça commença:

-C'est ben long faire ta caisse, t'as ben l'air perdue. Amènes-moi une autre grosse, anyway j'ai l'temps, t'es loin d'avoir fini!

Tabarnak, ça commence.

-Steph, laisses-moi faire mes affaires steplait, pis tu l'sais mon last call est fait, je peux pas t'en donner une autre.

-Hey fille! J'ai 43 ans, ça fait plus d'20 ans que j'viens icitte pis j'ai toujours eu ce que je veux. Appelle ton boss enweille! Passes-moi lé, ma y parler!

J'ai pas appelé. À la place, j'ai décidé d'aller dans le backstore et les larmes ont commencé à couler. Je suis restée là un bon 2-3 minutes pendant qu'il continuait son plaidoyer. C'est à ce moment que Robert est entré. C'était un client régulier, il restait à 3 minutes du bar. Bon, clairement, Robert avait consommé bien plus que de l'alcool ce soir-là. Il revenait du bar de danseuses nues qui se trouve au sous-sol de la bâtisse. Endroit que je n'avais jamais visité, mais selon les dires de mes clients, les plus belles femmes étaient à l'étage! Il me lanca un:

-Hey Clo! T'as rencontré mon voisin? T'sais Normand là, ben c'est mon voisin. Y reste la maison drette à côté de chez nous!

Comme j'étais un peu en boisson, je m'étais dit que de profiter d'un homme qui habite à 3 minutes du bar c'était win-win comme situation. Pas une trop grosse ride de char et mon besoin qui se satisfait en plus! Mais je dis rien. Il enchaîna, la bouche complètement gelée:

-Attends, je vais aller le chercher. Tu veux le voir? Tu veux son numéro? Je peux aller y demander. J'ai juste à cogner chez eux, bouges pas!

Puis il disparu. J'étais muette. Je ne savais pas quoi dire, alors je l'ai laissé aller et je me suis dit que je fermerais le bar un peu plus tard, au pire. Anyway, ce serait pas la première fois. Je me suis donc remise en action pour faire mon ménage habituel afin d'être prête si jamais j'avais de la visite. La Rapace repartit:

-Hey la jeune! Amènes-moi une autre grosse Bud le temps que tu finisses tes affaires, j'ai l'temps!

C'est là que j'ai craqué. Je me suis retourné, j'ai ouvert le frigidaire à bière et je lui ai déposé fortement une grosse devant lui. Je suis retourné au frigo et je lui en ai sorti une deuxième, cette fois-ci, en faisant presque éclater la bouteille. À la place, c'est moi qui a éclaté:

- T'en veux combien pour décolisser d'icitte. Je te laisse partir avec! J't'en sors-tu une troisième? Quatre c'est tu assez pour que tu décrisse!

Je sortais les grosses avec tellement de violence que la Rapace était bouche bée. Je n'avais jamais agis ainsi avec lui auparavant, mais là c'était la goutte. Ce que j'aimais moins de mon travail, c'est qu'il n'y avait pas de sécurité. Je fermais mon bar toute seule à chaque soir et ce n'était pas rare du tout que ça se mette à rentrer aux petites heures du matin. Les gens revenaient de la Ville ou même du sous-sol. Yvon, c'était le bar pour finir la soirée. Les gens étaient soûls, drogués, violent parfois. Ça m'arrivait à plusieurs reprises de devoir appeler mon boss aux alentour de 3h du mat' pour qu'il m'aide à gérer. Mais pas ce soir-là. J'ai réussi, du mieux que j'ai pu, à contrôler la Rapace. Mais ce n'était pas gagné.


Le téléphone sonna. Ce qui me sauva, en quelques sortes. Il était presque 3h du matin.

-Bar chez Yvon bonsoir!

-Salut Claudia, c'est Robert! Écoutes, j'suis avec Normand là, veux tu y parler? Tiens, je te le passes.

Ah merde! L'aguicheuse en moi avait envie de Lui. Des one night stand j'en avais fait un pis un autre, ça ne m'énervait pas. Mais ce soir-là, c'est plutôt de ses talents de Kung Fu dont j'aurais usé. Ça ne m'avait pas interpellé plus tôt, mais là là, j'avais juste envie qu'il vienne péter la gueule de la Rapace. S'il te plait Normand, vient me sauver! Mais à la place, j'ai mis mon costume de charmeuse.

-Allô Normand ca va ? que je lui demanda.

-Salut Claudia, écoutes, Robert m'a réveillé. Est-ce que ca va bien?

Il avait une voix calme, endormi. Je ressentais le malaise à travers le combiné.

-Oui tout va très bien! (mensonge) Je suis un peu surprise que tu m'appelles...

-Haha, ouin c'est Robert là, il est sur le party pas mal. Est-ce que tout se passe bien derrière le bar? Je m'excuse de te téléphoner à cette heure-là. Tu es sûre que tout va bien?

J'entendais Robert marmonner en arrière, mais c'était incompréhensible. J'aurais voulu crier ''Viens me sauver !!!'' Mais je me contentai d'un:

-Oui, super! Je finis bientôt! (autre mensonge) Tu veux qu'on se voit? (erreur)

-Écoutes Claudia, je dormais. En plus je travaille demain matin, mais on peut se reprendre si tu veux!

Bordel... Un refus! Je n'étais pas habituée à ça. Et merde. Trouves quelque chose Claudia...

-Ben... Donnes-moi ton cell. Comme ça on va pouvoir se rappeler.

-Euh... C'est que c'est le cell à Robert, c'est pas mon cell.

Épais ?!?

-Non je veux dire ton numéro à toi!

-Ah! Euhh, c'est que je le connaît pas par cœur.

Épais, encore ?!?

Je me suis donc mise à lui expliquer comment trouver son numéro dans son téléphone cellulaire. Chose que je ne croyais jamais avoir à faire un jour…

J'ai raccroché puis il m'a rappelé avec son cell, mais je n'avais pas l'afficheur. Je lui ai donc redemandé s'il voulait de la compagnie et il m'a refusé une seconde fois. Il m'a finalement donné son numéro.


J'espérais tellement que ce soit le bon.

Mais je ne l'ai pas testé cette nuit-là.


À suivre...


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